Un bel exemple de travail collectif :
l’avant-deux de Saint-Martin

par Régine Barbot

Pour rédiger une fiche de danse Heritaj, il faut d’abord un premier groupe de personnes ressources dont la liste est définie en réunion de commission Heritaj.
Septembre 2020, pour l’avant-deux de Saint-Martin, ce sera Philippe Jégou qui avait déjà effectué des recherches sur cette danse, Morvan Jégou qui avait fait du collectage, Louis Apperry qui avait travaillé sur cette danse au sein de son groupe et Florence Lucas dont le groupe de Guéhenno avait présenté en 2018 un avant-deux de Saint-Martin très remarqué. Pour ma part, je suis désignée coordinatrice du projet et à ce titre, je suis chargée du suivi du travail jusqu’à l’impression de la fiche et la tenue de la journée d’étude.

Le déroulement

Notre première réunion a lieu en novembre 2019. Philippe, Morvan, Louis et Florence sont très motivés, très heureux que la danse soit mise à l’honneur dans le cadre d’Heritaj et du Tradi’deiz, mais en même temps fébriles, anxieux devant la tâche immense qui nous attend. L’origine de la danse est incertaine, des divergences existent entre ceux qui la pratiquent. Mais comme pour toute fiche de danse Heritaj,
nous partons du principe qu’il faudra recenser tout ce qui existe et que si des incertitudes demeurent, nous l’indiquerons.
Nous commençons par étudier la danse et son environnement. Nous faisons des recherches dans les livres, nous scrutons à l’infini la seule vidéo que nous ayons au départ, celle de Georges Paugam qui date de février 1976, nous écoutons les enregistrements de Dastum.
Assez vite, nous sentons qu’il va falloir retourner voir des informateurs locaux. Malheureusement, avec le confinement et la pandémie, ce n’est qu’en juillet 2020 que Morvan et Florence pourront rencontrer
René et Marie-Thérèse Madouasse ainsi que Jean et Renée Burban. Leurs propos corroboreront entièrement ce que nous avons écrit !
Janvier 2020. Pour la fiche Heritaj, il nous manque un axe que nous n’avons pas encore traité, celui de la mode vestimentaire. Avec l’aval de la confédération, nous contactons Michel Rocher, spécialiste du costume, en particulier vannetais-gallo. Il accepte avec beaucoup de plaisir de nous rejoindre et écrit l’article sur le costume, clair, net, précis, exactement ce que nous attendions.

Début juin, la commission Heritaj ayant validé l’entrée de la danse dans le répertoire commun et la désignation de Florence Lucas comme référente, nous commençons à nous pencher sur la journée d’étude du 4 octobre. Nous souhaitons proposer, en parallèle de la danse, un stage de musique. Morvan qui a déjà beaucoup travaillé dessus, nous suggère de faire appel à l’accordéoniste Mike James qui est déjà le musicien « attitré » lors de la journée de concours organisée à Malestroit. Il accepte immédiatement et se propose d’écrire le paragraphe sur l’accompagnement musical. Nous sommes ravis de l’accueillir dans le groupe. Son éclairage est essentiel. Tout comme le seront les anciennes bandes sonores de la famille Dénécé prêtées par Beny Naël du groupe Les Traines-Meuriennes.
Fin juin, nous nous réunissons en présentiel pour rédiger la partie technique de la danse. Nous envoyons cette première synthèse à des informateurs, témoins de la danse dans leur jeunesse, qui la valident !
Il nous reste maintenant à trouver quelqu’un qui pourrait présenter le terroir. En effet, pour ces journées d’étude de découverte, il nous semble toujours préférable de faire intervenir une personne de référence du terroir concerné afin que le discours soit plus vivant, plus prégnant. Louis nous suggère Gilbert Hervieux, musicien, luthier, collecteur depuis 1974. Il accepte avec enthousiasme mais une confirmation de concert, le 4 octobre, loin de Saint-Martin, l’oblige à décliner notre offre. Il contacte alors Jean-Bernard Vighetti, fondateur du Groupement Culturel Breton des pays de Vilaine qui accepte immédiatement et qui va complètement récrire notre texte sur la situation géographique et historique.
Gilbert et Jean-Bernard entrent à leur tour dans notre groupe de travail. Nous sommes très heureux, très fiers. Notre projet gagne en solidité et en crédibilité.
Le travail se poursuivra avec l’ensemble du groupe, soit 9 personnes, jusqu’à l’ultime relecture et la validation finale le 22 septembre 2020 !

Une grande satisfaction

Ce fut une année de travail intensif mais ô combien enrichissant, enthousiasmant, galvanisant notamment par le fait qu’il a fédéré un grand nombre de personnes. C’est l’ensemble de leurs connaissances et de leurs compétences qui nous a permis d’aboutir à ce «travail très riche, très bien composé, dans le plus strict et pur style de nos belles fiches… » dixit Michel Guillerme.

La suite bigoudène :
faire vivre un répertoire

par Solenn Boënnec

Le travail réalisé autour de la suite bigoudène a été mené au sein du cercle de Pont-l’Abbé. Nous étions une petite équipe de trois personnes : Gwenn Richard, Rozenn Tanniou et moi-même, rapidement rejointes par Gwenaël Merrer. Les recherches, débats, choix, rédaction, apprentissage, se sont étalés sur douze mois… Une très belle aventure, à tout point de vue.
À l’époque, lorsque la confédération Kendalc’h nous a sollicités, nous n’avions comme bagage que celui que le cercle nous avait transmis, évidemment complété par la thèse de Jean-Michel Guilcher. Pendant des années, nous avons enseigné ce double héritage, sans trop oser remettre en question notre pratique au regard des collectes de Guilcher.

Mais rédiger une fiche sur la suite bigoudène exigeait de la rigueur et donc des sources. Le cercle ne nous ayant rien laissé à ce sujet, nous nous sommes plongés dans les films, notamment ceux de la cinémathèque de Bretagne. Nous en avons trouvé presque une trentaine sur la gavotte bigoudène, échelonnés entre 1923 et 1980. Nous voulions comprendre d’où nous venait la pratique que nous avions au cercle et pouvoir la comparer avec celle des danseurs traditionnels.
Nous avons encore du travail à faire pour comprendre comment le cercle est arrivé à danser ainsi, mais cela a très certainement dû se faire à force d’enseignement, d’homogénéisation, de différenciation, de personnalisation, de chorégraphies…

Bien entendu, les différents films décortiqués ont leurs faiblesses, mais leur multiplicité nous permet néanmoins d’en tirer une belle vision, de comprendre les particularités du territoire et les constructions folkloriques.

Avant de publier tout cela, nous avons tenu à rencontrer nos « transmetteurs » en bigouden, à savoir notamment Viviane, Hélias, Raymond Le Lann et Mick Nédélec. Nous souhaitions évoquer en premier lieu avec eux nos recherches et nos choix. Ce fut l’occasion de beaux échanges et d’un soutien inconditionnel de leur part. L’idée n’est pas de faire table rase de ce qui a été dansé et enseigné depuis maintenant plus de 80 ans au sein du groupe, mais de transmettre en conscience des répertoires, qu’ils soient plutôt « folkloriques » parce que largement arrangés par le groupe ou bien plutôt « traditionnels » parce que dansés ainsi dans la société rurale en Pays bigouden.

Enfin « dansés ainsi » est un bien grand mot… Le bassin d’habitants en Pays bigouden compte environ 50 000 personnes. Sur les films retrouvés, combien y dansent ? 50 couples tout au plus ? Alors plus on apprend, plus on se rend compte qu’on ne sait pas grand-chose au final.
Mais ces bouillonnantes recherches nous ont permis de nous repositionner dans la chaîne de transmission et de redécouvrir (avec émerveillement) un répertoire dansé.
La journée d’étude combritoise dans la belle salle de Croas Ver fut riche de cette redécouverte, de cette déconstruction. Appréhender un répertoire sous ce nouvel angle a permis à tous de se questionner sur les sources, les chaînes de transmission, les choix de transmission. Apprendre et surtout réapprendre ne sont pas toujours des exercices aisés mais les 45 couples présents s’y sont plongés avec beaucoup de bonheur visiblement !

Chercher fut passionnant, analyser fut passionnant, débattre fut passionnant, choisir fut passionnant, apprendre à danser fut passionnant (quoique parfois chaotique), rédiger fut (un peu moins) passionnant, et transmettre fut tout aussi passionnant. Merci encore pour nous avoir encouragé à faire ce beau travail.

Reste à faire vivre ce répertoire.
Nous comptons sur vous !